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16 avril 2019

REstanza : Texte d'Antonio Pellegrino

Le dépeuplement des villages fait peur
Plus que la peste, que les guerres autrefois
Et les maisons, qui sont toujours là, restent fermées, verrouillées
Il n'y a que l'été, le saint, la fête ou un deuil, qui les ré-ouvrent occasionnellement.

Déversements de première et de seconde génération !
Les boîtes en ciment, toutes belles, clôturées et parfois inachevées
racontent une vie sans lendemain,
qu'accompagne de temps à autre l'espoir d'un retour
qui quelques fois il y en a (est), c'est vrai, véritablement indigène
Comme les vignes neuves greffées par celui qui est revenu au pays.

Parfois celui qui revient n'est jamais parti !
40 années d'Allemagne échangées contre une vigne et une retraite,
et une souffrance
les fils nés en Allemagne,
qui ne reviendront pas d'Allemagne pour entretenir la vigne !

Comme une vigne et la vie sont proches !

U padri è du vosco!
A mamma è gammi storti!
A figlia è facci tunna!
nnduvina chi è?

Le père est la forêt
La mère a les jambes tordues
La fille est "facci tunna"[1]
Devine qui c'est ?

Le raisin est aussi fille de la forêt, une nature de soutien paternel
de laquelle se libère le mouvement
car la forêt ne reste jamais immobile
Tu t'en rends compte quand tu plantes un piquet!

La mère a les jambes tordues,

qui ne trompe que l'ignorant,
parce que la forme, elle est tordue seulement à nos yeux,
mère et père vivent ensemble une diversité univoque
terre et forêt, vigne et piquet
sont stabilité et mouvement
comme la maison dans laquelle nous sommes nés
et le voyage qui ne nous l'a jamais fait oublier
Facci tunna arrivera, porteur d'euphorie ou de dépression, d'élan ou de retenue,
de vérité ou de mensonge, de lumière ou d'illusion
tout comme dans notre relation avec la vie
tout comme dans le travail avec la vigne
Il faut soins et amour, à la mesure du désespoir et de l'abandon
La vigne, tout comme la vie, réconforte parfois juste avec un bon verre de vin,
au risque de toujours, celui du ciel et de la terre,
et des saisons, qui sont toujours les mêmes, mais ne sont jamais identiques.
Dans la vie rien n'existe en série,
il ne peut exister une formule de production programmée
il y a toujours une goutte d'eau pour les racines de la vigne
même quand il n'y a pas d'eau,
même quand la source est à mille kilomètres de tes lèvres.
Quarante années d'héroïsme incompris pour qui est parti sans jamais partir définitivement
Pour qui a franchi les frontières dans le sillage de la modernité juste pour sortir du Moyen-âge
Et un ouvrier le fait avec les bras plus qu'avec la tête,
et même à une vitesse incroyable, avec trop d'ivresse, avec trop de vin !

Quelle quantité de vin a fini dans les égouts des villages pendant les dernières décennies ?
Quelle honte, quelle humiliation née de l'aveuglement induit par la publicité
La conscience souffre des choses que tu n'as pas, mais pas de celles que tu jettes
chez celui qui est resté, pas chez celui qui est revenu.

Et c'est ainsi qu'il est arrivé de jeter le vin,
peut-être dans la même proportion qu'il est arrivé de l'acheter ailleurs,
et puis il y a celui qui ne jette pas le vin
celui qui fait du bon vin
celui qui sarcle la vigne en compagnie

40 bras, 20 âmes, fête, repas, communauté, restanza !
Celui qui est revenu sarcle plus que les autres
Il doit retrouver la fatigue et seulement celle-là,
l'esprit de la vigne il le connaît plus que les autres
parce qu'il l'a désiré plus que les autres !

La restanza c'est le désir de n'être jamais parti qui se révèle seulement si tu pars
Le partir et le revenir nous font faire le voyage biologique et civil
La restanza maintient l'esprit en vie.

L'esprit de la vigne de Mario, Antonio, Giuseppe, Michele,
émigrés de retour pour les annales
indigènes qui ne sont jamais définitivement partis pour la communauté par eux régénérée.
Ces nouvelles vignes sont un nouveau pacte avec notre terre
Emigrés de retour versus restanza
Avec l'obligation future d'entretenir davantage la vigne que le ciment
Une vigne peut être plus une maison qu'une idée de maison
Et ainsi, l'histoire propose aussi le retour, la restanza

Une compagnie d'hommes à la journée
Qui sarclent la vigne sans devoir recevoir un salaire
Et le font avec plus d'âme
Avec plus d'amour

Et le vin devient meilleur
Et la vigne devient plus forte
Et la vie après le savoir et le devoir
devient un peu plus plaisir
C'est seulement ainsi que tu pourras comprendre pour toujours que la forêt continue à se mouvoir !

 Traduction de Guy Taliercio et François-Marie Périer

[1] Dialecte. "Facci tunna" se dit du grain de raisin sain et de l'enfant en bonne santé: "Il est facci tunna."