Concert à la Galerie-café La Vina pendant l'exposition: Oud - busuki - Somar al Naser et ses amis.
De gauche à droite : Antoine, Ney, Alex, Somar, Delavar.
Photographie François-Marie Périer
Le rite ressuscite, le temps d’une fête ou
d’un sacrifice, une éternité trop parfaite pour nos vies aimant la joyeuse
amnésie de ses réinventions
Mezzogiorno… c’est le
Milieu du jour et le « demi-jour » aussi, pour jouer sur les mots,
mais le terme désigne précisément le Midi de l’Italie
« Méridionale », ou le midi d’un jour.
Dans les photos noir et
blanc du rassemblement du Palio del Grano, le Midi est pris dans la lumière d’un
matin de mi-juillet, tout près de notre célébration française de la chute d’une
prison par un peuple qui avait à peu de choses près l’apparence de celui que
Guy Taliercio a saisi, dans ses habits anciens.
Venus des montagnes du Sud, des
rochers, de la Terre, du feu du Soleil, de la vigne et de l’olivier, ces hommes
et ces femmes sont pleins et peints d’une ombre et d’une lumière fraiches et
ardentes, aussi dense l’une que l’autre.
Et ils semblent apparus d’un autre
temps, évoqués pour rendre hommage au blé, par le souvenir de leurs fils, de
leurs filles. Comme une toile de Georges de la Tour, de Vermeer, ou d’un
Caravage enfin apaisé, ils sont une page d’un livre ancien, d’une mémoire
repliée comme un rouleau de film oublié se remettant à tourner, le microsillon
d’un chant de la Terre que la platine des cycles de l’année, un jour, vient
réveiller par le diamant du souvenir et de la célébration.
Des paysans, des marchands, des maîtresses de maison, des artisans, des musiciens, une femme fière et une Vierge visitée de lumière, Neptune souriant lui-même, monté de son rivage avec son trident de bois… Ils sont là, acceptant le regard et l’objectif d’hommes et de femmes du XXIème siècle, le temps de moissonner à la main et à la faucille le blé du mois de Messidor
Photographie Guy Taliercio
Des paysans, des marchands, des maîtresses de maison, des artisans, des musiciens, une femme fière et une Vierge visitée de lumière, Neptune souriant lui-même, monté de son rivage avec son trident de bois… Ils sont là, acceptant le regard et l’objectif d’hommes et de femmes du XXIème siècle, le temps de moissonner à la main et à la faucille le blé du mois de Messidor
La Méditerranée borde et baigne en toutes lettres les îles et les rivages du mythe.
Paestum, méconnue, est peut-être le plus beau site de temples de toute la Grèce
antique dont l’Italie du Sud, Magna Grecia, faisait partie et fournit ou
accueillit quelques grands philosophes en des temps
présocratiques, plus poétiques et bien moins rationnés.
Nous sommes dans le
Cilento, non loin de là où Enée aurait abordé, fuyant la Guerre de Troie, avant
de fonder Rome. Virgile, dans L’Eneide,
chanta l’épopée du guerrier, et dans Les
Bucoliques, quelques années après, il avait annoncé le retour du règne de
Saturne, de l’Âge d’or antique du vieux dieu moissonneur à la faux, celui de la
Vierge Astrée enfantant un nouvel Apollon ramenant une ère de paix éternelle.
Saturne, dieu du temps, de la mort, de la résurrection, du grain qui meurt en
hiver sous son règne, Saturne castra son père Ouranos de sa faucille parce
qu’il opprimait Gaïa, sa mère. Mais il dévorait aussi ses enfants parce que le
temps semble aussi bien renier le passé que l’avenir, instant après instant,
fauchant les heures, les jours, les vies.
Mais Saturne le faucheur
était pourtant le dieu sage de l’Âge d’or… Les hommes et les femmes qui restent
en résistant au départ, ou reviennent à leur Terre, sont un peu les enfants de
Saturne, les frères et sœurs de Jupiter, ces Olympiens ayant échappé au ventre
de leur père, ou les Titans, fils de la Terre ayant échappé aux Olympiens et à
leur Nouvel Ordre jupitérien
Peut-être
les Restanti et Resistenti croient-il au retour de l’Âge d’Or, dans les blés
rares et anciens, forts et précieux qu’ils cultivent et moissonnent, dans l’onction
des oliviers, la communion des vignes, l’eau pure, les bêtes douces et la mer
bleue. Ou peut-être créent-ils et vivent-ils déjà un nouvel Âge d’or, si loin,
si proche de notre Âge de fer, notre rage de fer et notre Âge noir, et
peut-être attendent-ils notre retour dans le temps et l’espace retrouvés du cycle
et de l’horizon
Restanti
e Resistenti sont un peu, avec tout mon respect, comme ces ânes sauvages des
rochers, sobres, libres et têtus, dans la photo de Roberto Simoni, au-dessus de
l’émeraude, de la turquoise, de l’albâtre de l’écume, des cristaux de sel et
des pétales de rose de la Méditerranée à la douceur infinie, comme les brebis
dans les matins du monde. Roc, mer, Soleil, vent, eau de Source. Ils rappellent
que nous habitons les Eléments, qu’ils nous habitent, à ceux qui ont choisi
l’histoire et la cité plutôt que le cycle et la terre.
Parménide
d’Elée, le Présocratique qui vécut entre le VIème et le Vème siècle avant notre
ère, était d’ici, du Cilento, et il passa sa vie à distinguer l’être du
non-être, loin de nos relativismes. Être ou ne pas être, rester ou pas,
résister ou pas, mais qu’on soit de la cité ou de la Terre, pouvoir être et
faire, seuls et ensemble.
"Comment
serait ensuite l’être ? Comment serait-il né ?
En effet, s’il est né, il
n’est pas, ni s’il est un jour destiné à être.
Ainsi sa
naissance s’évanouit-elle, et sa mort mystérieuse.
Il n’est pas divisé,
puisqu’il est tout entier semblable;
il n’est pas davantage en ce point, ce
qui l’empêcherait de tenir ensemble,
il n’est pas inférieur, mais il est tout
entier plein d’être.
Tout pour lui est d’un seul tenant ; l’être touche à
l’être.
Mais immobile
dans les limites de ses vastes liens, il est, sans commencement ni fin,
puisque
la naissance et la mort se sont égarées très loin,
et que la certitude
véridique les a repoussées.
Le même dans le même était stable
et gît au fond
de lui-même et ainsi demeure à nouveau immuable.
Une puissante nécessité le
tient dans les liens de sa limite,
qui de chaque côté lui fait obstacle.
C’est pourquoi il est juste que l’être ne soit pas illimité;
il est en effet
sans manque;
le
non-être manque de tout…"
Parménide,
Fragment 8, Extrait
"Les Temps sont révolus qu'a prédits
la Sibylle :
Les siècles, dans leur course
immuable et tranquille,
À leur point de départ sont enfin
revenus,
Et le dernier de tous, l'Age de fer,
n'est plus.
Déjà revient Saturne, et la Vierge
immortelle
Abandonnant les cieux reparaît parmi
nous;
Et les dieux, des humains cessant
d'être jaloux,
Envoient sur notre Terre une race
nouvelle.
Un Enfant doit bientôt au jour ouvrir
les yeux;
Souris, chaste Lucine, à sa venue au
monde :
L'Age d'or va renaître et sur terre
et sur l'onde;
Déjà règne Apollon, ton frère
glorieux."
Virgile, IVème églogue des Bucoliques