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17 avril 2019

REsistenza- REsistance : Texte d'Antonio Pellegrino

                                                  Photographie Roberto Simoni
  
Les bergers du Mont Centaurino[1] eurent raison de s'inquiéter quand le temps était beau et de se réjouir dans la tempête.
Ils connaissaient bien le lieu commun et savaient le retourner
Pratiquant le secret de la subsistance, ils savaient que pour rester stables quand le vent souffle fort, il ne faut pas rester immobile !

Le chêne est le maître de cette philosophie de l'aventure et du voyage de celui qui n'a jamais bougé.
C'est la pratique de la vie et de la mort dans son essence qui transforme en savoir lucide l'éthos[2] indigène
et il n'existe pas de code écrit qui puisse le raconter mieux que l'appartenance.

On appartient par relation, par un échange établi par procuration.
Puis on choisit, parfois on choisit, le plus souvent nous sommes choisis.
Les bergers du Centaurino au contraire sont des élus, ils l'ont toujours été,
hommes et femmes dont le destin est scellé,
mais en attendant, autour d'eux, le vent n'est plus le même,
Ils sont devenus des éleveurs !
Les SUV[3] sont les nouvelles frontières sur pneus, et les traces des troupeaux sont les talons aiguilles du fétichisme d'une modernité granitique, totémique, dévotionnelle
Le chêne ne donne plus de leçons et les murs se dressent au vent de l'histoire qui toutefois, réussit à déplacer tout
ce qui peut être déplacé
même contre le vent, même quand aucune feuille ne bouge, même au-delà du mur

Et oui les murs, il y a certains murs qui enrégimentent les eaux et retiennent la terre
Il servent à freiner, à retenir liquide et solide, leur donnent forme et substance.
Ils ne s'opposent pas au vent ils l'accueillent
Nous venons juste de l'apprendre, tout le monde en parle,
La modernité a découvert les murs en pierres sèches et les bergers du Centaurino le lait industriel !
Le vent abat certains murs et parfois ça ne vaut même pas la peine de s'opposer, de résister
parfois les murs ne servent à rien et les frontières ne servent à rien
Nous avons besoin du vent, nous avons besoin de ne pas être à l'arrêt, nous avons besoin de nous arrêter,
nous avons besoin des bergers du Centaurino
Nous avons besoin du grain de sable du désert et du flocon de neige de l'Himalaya
Du mur en pierres sèches, de la zampogna[4] et du ginseng
Vivre est nécessaire pour comprendre le chemin
Le chemin est nécessaire pour comprendre comment vivre

Aujourd'hui le chemin c'est le ciel, la mer, la terre
Tout est chemin, tout voyage, tout est en expédition

Pisacane[5] e De Martino[6] aussi étaient en expédition
Le premier pour une idée le second pour un symbole
Un siècle entre l'un et l'autre, une éternité pour qui ne les a jamais rencontrés.

Sur le Centaurino, ont été capturés quelques-uns des trois cents, personne ne le sait
Sur le Centaurino il y a l'esprit du Blé, personne ne le sait,
la mémoire est un exercice de résistance à l'oubli
tous le savent mais ils cherchent le folklore, les doux souvenirs, la poussière des étoiles d'hier et non leur propre lumière.

Les bergers du Centaurino semaient le blé pour se rappeler
Faim et nourriture étaient soleil et pluie
La misère était comme le voyage, chaque jour il fallait laisser quelque chose en échange de quelque chose d'autre.
Echange, Relation, Résistance!

Dans une relation on doit toujours résister
Il y a toujours une nécessaire opposition quand on a des racines qui servent à marcher
Le chêne résiste au vent et veut toucher le ciel
Le Blé résiste au passé et veut rencontrer le futur

Sur le Centaurino le blé existe et Résiste, le berger un peu moins
Les éleveurs ne résistent pas, ils jurent !
Sur le Centaurino il n'y a pas d'églises, mais il y a l'esprit du Blé
Les bergers du Centaurino doivent resister, ils doivent retourner semer le blé.

Aux bergers de l'Apennin calabro lucanien

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D'acceptions changeantes devient, négative ou positive, la REsistance.

Résistance à l'histoire et au temps qui passe, résistance à la fatigue intense comme résistance physique
pour supporter l'effort énorme ou bien comme résistance pour la perpétrer comme pratique contemporaine.
Résistance aux barbares, à la perte des valeurs, aux assauts du futur et aux retours du passé.

Résistance des semences et des populations évolutives à la sécheresse, à la pluviosité, aux pénuries du sol.

Résistance pour continuer à cultiver les semences désormais abandonnées en vertu d'une meilleure génétique
de laboratoire, pensée pour toute terre et tout climat, mais surtout pour les poches du laboratoire.
Résistance pour laisser tomber l'usage des mauvaises techniques agronomiques, résistance pour arrêter
d'utiliser les produits chimiques, surtout s'ils sont utilisés dans le contexte d'une agriculture familiale de subsistance.
Résistance à l'étranger et résistance au voisin de maison, de terrain, au compatriote paysan.

Résistance à la résistance-même, si besoin, comme pratique de civilisation, comme gymnastique du futur.

Sur l'Appenin, sur l'os d'Italie, dans les villages des zones de l'intérieur, une belle autre Résistance fut le comportement
face à l'oppression et à la tyrannie. Sur les monts et dans les vallées aux mille et mille communes, parcs nationaux, parcs régionaux,
on résiste, avec divers types de barricades, apposées, et il y en a qui sautent d'une barricade à l'autre
en emportant derrière eux la même colère. Et il en est qui restent sur les terres de personne en continuant à résister à l'envie de monter sur les barricades.

Traduction de Guy Taliercio et François-Marie Périer 


[1] Dans le massif du Cilento, le mont Centaurino est le plus haut sommet dans lequel les anciens voyaient la forme d'un petit Centaure (créature mi-homme mi-cheval de la mythologie grecque).
[2] La qualité de l'âme.
[3] Automobile. Le sigle SUV est l'acronyme de Sport Utility Service (wikipedia.it).
[4] Instrument de musique traditionnel : sorte de cornemuse.
[5] Carlo Picacane, duc de San Giovanni (1818-1857) était un révolutionnaire et patriote italien, d'idéologie socialiste-libertaire et d'orientation fédéraliste d'influence proudhonienne. (wikipedia.it)
[6] Ernesto di Martino (1908-1965) était un anthropologue, historien des religions et philosophe italien.