Photographie Guy Taliercio
Entre les années 1861 et 1985, près de 19 millions d'émigrants ont définitivement quitté l'Italie. Le flux ne s'est pas tari depuis.
Maintenant, il y a
ceux qui reviennent. Et puis, il y a ceux qui restent.
Dans le sud de
l'Italie, on assiste au retour de certains, partis étudier ou travailler dans
le nord du pays, ou plus loin. S'il s'agit d'un phénomène classique pour les
retraités, il est nouveau en ce qu'il concerne également des adultes actifs.
Ce phénomène, c'est la
"Restanza". Le concept et le néologisme, qu'on se risque à traduire
en français par "Restitude" (l'attitude de rester) ont été imaginés
par l'anthropologue calabrais Vito Teti.
Ca se passe dans le
contexte de la question méridionale italienne et des dérèglements de toutes
sortes provoquées par la prégnance du fait économique en Europe et dans le
monde. Rester et (re)venir au pays est un choix de vie assumé, un engagement
politique, un acte de résistance, une prise de conscience individuelle et
collective, une identité et une fierté.
Je suis parti saisir, avant
de comprendre, les raisons pour lesquelles mes ancêtres paternels avaient
quitté leur île du golfe de Naples.
En 2015 et 2016 j'ai
séjourné à deux reprises dans le massif du Cilento, au sud de Salerne, partageant
le travail et la vie de paysans dans des fermes bio : la vie de famille, le travail
de la terre, la vie quotidienne, les discussions, les rencontres avec les amis
de passage, les fêtes, la musique…
J'y ai rencontré ceux qui
sont restés des amis : Angelo Avagliano et Donatella qui m'ont les premiers
ouvert la porte, Dario Marino avec qui j'ai fondé peu après l'association
Pitecussa Prod, le vidéaste Giuseppe Jepis Rivello, Antonio Pellegrino impliqué
avec eux dans la culture du blé et la fabrication de la farine...
Tous participent à
l'animation du "Campo del grano" (le champ de blé, ou le Camp du blé
en l'occurrence), rassemblement annuel sur plusieurs jours de paysans italiens
de toutes régions, venus échanger et partager les savoirs autour des techniques
agricoles, de l'éthique… Culture et culture.
Parmi leurs amis, il y
a aussi le photographe Roberto Simoni et son épouse Miriam, revenus d'Allemagne
pour s'installer au pays, et chez qui j'ai séjourné également. J'ai participé avec
eux et quelques autres de leurs amis aux travaux d'une moisson du blé. Quelques-unes
des photos que j'expose à La Vina en proviennent.
C'est ainsi que cet événement
a été conçu : des photos et des textes de Roberto et de moi-même, des
vidéos de Giuseppe - dit Jepis - des textes d'Antonio, le tout en français et en
italien.
La musique est
importante : la chanteuse Maria Abatantuono et son groupe de choristes ont
superbement animé la soirée du vernissage à La Vina, avec des chants du sud
italien.
Cet événement est donc
montré jusqu'au 27 avril à la Galerie-café La Vina, à Grenoble. Il est également mis en ligne sur le blog de l'association Pitecussa
Prod https://pitecussaprod.blogspot.com
L'idée, à travers
cette dimension "transmedia", consiste d'abord à montrer des points de vue différents. Elle consiste aussi à montrer en quoi cette expérience
concrète, issue du Mezzogiorno, est une réalité que l'on rencontre également dans
d'autres pays, avec d'autres populations, en somme de montrer ce qui est
universel dans cette expérience…
Les photos que
j'expose à la galerie La Vina, je les ai réalisées pour la plupart – notamment
les portraits en noir et blanc – le jour du "Palio del grano",
concours entre équipes des villages du Cilento, qui clôt la semaine de
rassemblement dont j'ai déjà parlé. Ça se passe à Caselle in Pittari, pas très
loin de la côte.
Il s'agit de faire la
moisson à la main avec la faucille, de lier les gerbes et de les rassembler.
Une manière de retrouver les gestes, le contact avec la terre, et le travail en
commun. Cette rencontre inter-générationnelle et conviviale se conclut par un
repas pris en commun sur le champ de blé.